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Rencontre avec la réalisatrice Saïda Boukhemal

Dans le cadre de ce premier volet "cinéma et musique" de la nouvelle saison culturelle, nous vous proposons de poser un regard sur le cinéma musical arabe à travers la rencontre avec la réalisatrice Saïda Boukhemal.

Portrait de Saïda Boukhemal

Quelques mots pour se présenter ?
Ayant grandi et évoluer entre deux mondes, entre celui des enfants et des adultes, entre les deux rives de la Méditerranée, entre les deux extrêmes de la société, ou encore entre deux langues, je pense pouvoir avancer que j’ai eu un parcours assez atypique qui a conforté en moi un esprit très
optimiste d’ouverture, d’échanges et de partage.

D’où vient votre passion pour le cinéma ?
De l’enfance en premier lieu. Ayant connu les dernières années des cinémas de quartier que ce soit à  Paris dans le quartier de la Goutte d’or, ou à Billancourt où mes parents tenaient un petit restaurant, le cinéma était au coeur de mon quotidien. Mes parents, affairés par leur commerce, m’accordaient une grande liberté d’aller et venir. Dès l’âge de 7 ans, j’ai quasiment élu domicile au cinéma Le Royal à Billancourt. Il arrivait même que la famille qui exploitait la salle me ramène endormie dans leur véhicule après la dernière séance. J’avais accès au saint des saints, la cabine de projection, le local à bonbons, mais surtout à une programmation très éclectique qui allait des comédies et autres films pour enfants comme “le Roi et l’oiseau”, “la Guerres des étoiles, “Dunes”, à des films d’auteur comme “les Dieux sont tombés sur la tête”, ou carrément pour adultes comme “Salo et les 120 journées de Sodome”. C’était assez inhabituel pour une enfant de cet âge, et je pense que ça a motivé “un désir de cinéma” chez l’adulte que je suis devenue.

Quel est votre parcours ?
Mon choix d’études des arts du spectacle puis d’études cinématographiques à La Sorbonne Nouvelle était plutôt inattendu car mon origine sociale très modeste poussait plutôt vers des études courtes et prometteuses en retombée économique. Une fois le bac en poche, l’histoire du cinéma
m’a attiré en premier lieu. J’ai pu approfondir mes connaissances en histoire de l’art, notamment au travers d’une approche phénoménologique portée par ma directrice de recherche Muriel Gagnebin, à qui j’ai proposé un mémoire “psychanalyse de l’art” sur “la vision de l’enfance au cinéma dans l’après guerre”.
Au sortir de la faculté, j’ai eu la chance d’explorer plusieurs secteurs du film en trouvant assez vite quelques stages qui m’ont menée en premier lieu vers un journalisme très formaté type “France Télévision”. Des expériences très enrichissantes comme participer à l’élaboration d’émissions grand
public sur des sujets sociétaux sous forme de documentaires de petit format allant du 6 au 42 mn. J’y ai fait mes gammes en matière de débat rédactionnel et y ai appris quelques notions de prestations techniques pour tout ce qui relève de la production et de la post production.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de réaliser ce triptyque ?
On qualifierait le cinéma musical égyptien de “vintage” dans notre monde moderne, mais pour moi, ils évoquent aussi la douce mélodie de l’enfance tant ils ont bercé la mienne dans les cinémas du nord de Paris, qui continuaient à les diffuser jusqu’au tout début des années 80. ll y avait cette image de grande liberté, exprimée avec tant de légerté grâce à la musique. Je revenais d’une adolescence algéroise où j’avais vécu de très près l’arrivée et l’installation du fondamentalisme qui allait ensuite donner lieu à une guerre civile. Le durcissement des mentalités et le bannissement peu à peu de tout ce qui pouvait s’apparenter à une image de liberté en Algérie, m’ont durablement marqué. Ces films d’une légerté incroyable, qui exacerbaient un monde arabe d’une manière très hollywoodienne, très “glamour”, à des années lumières et en décalage total de ce que vivaient les
populations des pays arabes à partir du milieu des années 80, ont naturellement retenu mon attention. De plus, durant ma formation qui a duré cinq ans à la Sorbonne Nouvelle, on ne parlait jamais ou très rarement de cinéma arabe. On parlait de cinéma du monde pour aborder de réalisateurs comme Satjajit Ray, Mizogushi, ou encore Youssef Chahine, mais derrière ces noms réunis sous la nomination “cinéma du monde”, on ne savait rien d’autre sur l’Histoire du cinéma de ces pays alors qu’on devinait pourtant une tradition. Ayant été bercée durant mon enfance parisienne, par ces films musicaux égyptiens, je savais pertinnement qu’il existait tout un continent cinématographique dont plus personne ne parlait, j’ai souhaité on va dire, assez naïvement, y remédier, et j’ai commencé alors à collecter tout ce que je pouvais lire et ou voir sur le sujet. J’avais proposé le résultat de mes recherches sous forme d’exposés en histoire du cinéma, tout au long de mon cursus universitaire. Le sujet plaisait beaucoup aux élèves et aux professeurs, ce qui m’a certainement encouragé à proposé Hollywood sur Nil dès que j’en ai eu l’occasion. Ensuite les rencontres fortuites avec un producteur potentiel, des diffuseurs, et des techniciens de talent, ont fait le reste. Quant au triptyque à proprement parlé, au delà de Hollywood sur Nil, je l’ai véritablement conçu suite à la rencontre avec Jean Marie Bonafous sur laquelle je reviendrai plus
tard.

Avez-vous un ou plusieurs projets à venir ?
A vrai dire, mon expérience de la production de documentaire a été à la fois marquante et météorite puisque depuis cette série je me suis entièrement retirée du secteur. J’ai du m’improviser productrice pour mener à bien ce beau projet, ce qui faisait de moi l’une des plus jeunes
productrices de documentaires en France, alignée sur des maisons de productions d’expérience avec lesquelles j’ai eu la chance de coproduire des sujets “histoire” en encourageant d’autres jeunes réalisateurs, j’ai eu la chance également de participer financièrement à la fondation de festival de
cinéma en Algérie… des expériences très constructives. Mais ça c’est une autre histoire.
Mes projets actuels concernent plutôt les arts du spectacle, la peinture et l’écriture, je nourris particulièrement un projet d’écriture de spectacle musical façon “chaâbi” et en langue “darija” à partir de théâtre d’ombres, de tableaux peints, et de projections, ayant pour thème le traitement des
déchets et destiné aux enfants, en Algérie.

Avez-vous une anecdote à partager ?
Plein! Mais je me limiterai à comment j’ai pu retrouver de façon improbable, une grande partie des  archives que j’ai utilisé dans le tryptique. Alors que depuis quelques années je collectais tout ce que je pouvais trouver sur le sujet, concernant les extraits que je souhaitais incorporer au film, je n’avais pas trouvé une once de bande 35mm. Je m’étais contentée des films que j’avais collecté pour mes exposés universitaires, à Belleville et
Barbès, chez les derniers disquaires qui vendaient également des cassettes vidéos pour le public maghrébin. J’avais également réuni quelques rares publications en français de l’Institut du Monde Arabe comme le livre “Egypte, 100 ans de cinéma”. Mais très vite, au fil de mon enquête
documentaire, je me suis rendu compte que ce catalogue était très arrangé et que parfois des films avaient totalement disparus des radars. Il dévoilait toutefois un nombre impressionnant de films, on parlait alors d’une production allant jusqu’à 1000 films par an. Où étaient donc passés toutes les bandes originales et surtout toutes les copies distribuées dans tous les cinémas du Caire à Casablanca, en passant par Paris, Alger et Ouagadougou? 
J’avais perdu espoir de trouver toute trace physique des bandes, et je m’apprêtais un peu dépitée à“gonfler” les bandes VHS pour les incorporer au montage numérique. Le hasard voulu que lors d’une séance de mixage son sur une petite commande publicitaire, l’ingénieur en poste à qui j’avais
touché deux mots sur mon projet documentaire, connaissait un monteur dont le père détenait un catalogue constitué exclusivement de comédies musicales égyptiennes des années 40-50! Ces bandes avaient été héritées de la société de Jacques Haïk qui avait produit et distribué ces musicaux en Egypte, au Maghreb et en France pendant la colonie, sous le label Les films de la Régence. Elles avaient été méticuleusement préservées au fin fond d’une cave en pays cathare! La rencontre avec Jean Marie Bonafous, gérant de la société Régent Films, fut décisive pour la réalisation de la série avec la découverte in extrêmis de son matériel qui allait servir de support principal pour mon travail de réalisation!